THOMAS SANKARA : LE CAPITAINE PEUPLE !
à Philippe et Auguste SANKARA,
Car papa ne rentre pas ce soir !
«
Peut-être dans notre temps, apparaîtrons-nous
comme des conquérants de l’inutile, mais peut-être
aurons nous ouvert une voie dans laquelle d’autres,
demain, s’engouffreront allègrement, sans réfléchir ;
un peu comme lorsqu’on marche »
Thomas Isidore SANKARA.
LA DOULEUR DES TOMBES BLANCHES
DE DAGNOEN
J’ai crié son nom dans tous les vents qui soufflent
Et dans la texture des crachins qui s’éparpillent
je l’ai même inscrit en titaniques lettres capitales
Juxtaposées sur toute la surface de cette terre
Mais ils ont choisi de le transcrire en cachets de sang
Gravées sur le front et entre les épaules des martyrs
Je ne serai pas résolu pour autant au mutisme
Et je dénoncerai les kalachnikovs des causes absurdes
Déversant des torrents de feu et de sang
L’harmattan qui déverse dans les cœurs
La consternation qui étrangle
L’absurde sang des cœurs qui s’échauffent
Feu des kalachnikovs dans la chaleur de l’harmattan
Tristesse de l’harmattan qui verse des larmes de sang
Ils m’ont fait pleurer dans la chaleur de l’été
Et j’ai baissé mes armes devant la brume épaisse
Je te retrouve tristesse
Car ne t’ayant jamais quitté
N’avons-nous pas tenu de rester sans cesse
Ces innocents qui ne seront jamais acquittés ?
Le temps qui s’en va
Dans mon esprit demeure
Souvenirs et regrets en tas
Illusions, rêves et leurres envolés
Saigne mon cœur saigne comme toujours
S’installent les ténèbres et s’abreuvent les démons
Chagrin ! O vif chagrin !
Plus que morsure du fouet
Si seulement mon corps pouvait supporter
Ce supplice qui est si long, si long, si long..
Pour combien de temps encore devront-ils tuer tous nos prophètes
Et vouer à la géhenne ceux qui ont osé ouvrir les yeux
Pour balayer d’un revers de main la fatalité de la misère ?
Ils ont imprimé au verbe le rythme du mensonge
Ils ont trahi le rêve pour obtenir la trêve
La misère du verbe qui sonne plus que mensonge
La fatalité de la rengaine qui brise chaque fois le rêve
Pour combien de temps encore devront-ils enchaîner la vérité
Réduire la justice à l’esclavage
Et envoyer au bagne, la Liberté noyée dans le sang ?
Ils ont dit au peuple, voici ton destin !
Destin tracé au crayon, dans une salle de conférence
Un destin de sang pour ceux qui osent sortir des rangs
Et pourtant il faudra bien un jour
Raconter à Philippe et à Auguste
Comment leur père a forgé son nom dans le cratère du rêve
Rêve fou sans lequel il n’existe pas de générosité
C’était un soir d’octobre aux abords de sa tanière
Il ne voulait plus de la misère de son peuple
Et il a plongé comme un lion dans ce gouffre
Qui flambait semblable à un brasier de souffre
Sacrifice ultime de ce qu’il avait de mieux
Dans ces moments où l’amitié se portait comme un tort
A ces instants où l’innocence ne servait plus à rien
Car aveuglé par la peur de la liberté
La traîtrise avait frappé sans réfléchir
Il faudra bien, un jour
Leur montrer la fosse commune
Qui a servi de sépulture au Capitaine Peuple
Avec comme oraison le seul ronflement d’un bulldozer
Il faudra bien, un jour
Que la vallée du Sourou charrie mille prodiges
Que le plateau Mossi reverdisse
Afin que les paysans du Yatenga au Boulkiemdé
Puissent cesser de gratter enfin une terre si ingrate
Qui engloutit les meilleurs de ces fils sans rien offrir en retour
Je pourrais enfin demander à Ouagadougou
D’arrêter de vivre l’espace d’une nuit
D’oublier la bière et l’ivresse de la vitesse
De congédier toutes les filles de joie
Et d’afficher sans équivoque l’épitaphe du souvenir
Sous les enseignes de tous les bars fermés
Et pourtant il faudra bien, un jour
Que le temps s’arrête de prospérer en mauvais sort
Un sort que l’on jette à la face du monde
Un monde de martyrs et d’orphelins
Des orphelins qui demanderont qui était leur père
L’harmattan souffle toujours
Sous mes pas la symphonie des feuilles mortes
Dans ma tête le soleil et la poussière
Et mon cœur qui reste enchaîné
Dans la douleur des tombes blanches de Dagnoen
J’aurais aimé verser des larmes
Toutes mes larmes pour laver cette terre souillée de sang
Mais je sais que les combattants ne pleurent pas
Je cacherai donc ma blessure comme une poussière morte
Pour que la pluie indifférente continue à tomber
Pour que les fleuves insouciants continuent à couler
Pour que le soleil continue de briller
SIDYADY DIENG